Les médecins, ces boucs émissaires faciles des médias ?

On atteint un niveau de mauvaise foi sidérant. Après avoir survécu à des vagues de Covid en travaillant sans relâche, après avoir accepté des conditions de travail de plus en plus dégradées, après avoir vu des collègues partir en burn-out ou carrément quitter la profession, les médecins sont encore une fois les cibles des médias.

Cette fois, c’est "Capital" sur M6, qui nous sort un reportage à charge intitulé "Abus, gaspillage et gros business : révélations sur l'argent de notre santé". Tout y passe : consultations trop chères, dépassements d’honoraires, médecins hospitaliers qui feraient soi-disant fortune... Bref, l’éternelle rengaine : "Les médecins sont des nantis qui profitent du système". C’est faux. Et c’est dangereux.

Un système de santé qui s’effondre… mais c’est de la faute des médecins ?

Depuis dix ans, les médecins généralistes étaient payés 25 € par consultation, soit moins que le tarif d’un coiffeur ou d’un garagiste. Cette rémunération ridicule n’avait jamais été revalorisée, malgré l’inflation, malgré l’augmentation du coût de la vie, malgré la charge de travail exponentielle. En décembre 2024, après des années de bras de fer, la consultation est passée à 30 €. Une hausse ? Oui, mais sous conditions. Et c’est là que la supercherie commence. Pour bénéficier pleinement de cette revalorisation, les médecins doivent s’engager sur des objectifs bureaucratiques absurdes, notamment en matière de permanence des soins. Autrement dit : on les paie mieux, mais seulement s’ils acceptent encore plus de contraintes. Pendant ce temps, en Allemagne, une consultation coûte 60 €. En Espagne, 50 €. Au Royaume-Uni, 90 € hors NHS. Mais en France, 30 € est présenté comme un "coût exorbitant". La vérité ? Les médecins français sont parmi les moins bien payés d’Europe.

Une mise en scène absurde digne d’un sketch

Et comme si ce procès permanent ne suffisait pas, Capital a eu une idée lumineuse : mettre en scène une "expérience" totalement absurde pour sous-entendre que les médecins seraient complices d’un système défaillant. Une journaliste a pris trois rendez-vous médicaux en ligne, consulté trois médecins différents, obtenu trois ordonnances, puis s’est filmée en mode "révélation choc" en soulignant qu’aucun médecin ne s’était rendu compte qu’elle avait déjà consulté ailleurs. Mais on marche sur la tête ! Depuis quand un médecin est censé lire dans les pensées de ses patients et savoir, par miracle, qu’ils ont déjà vu un confrère ? Il n’existe aucun dossier médical centralisé en temps réel permettant à un médecin d’avoir accès aux consultations précédentes d’un patient. En réalité, cette mise en scène ne démontre rien, sinon une faille du système de santé que les médecins eux-mêmes dénoncent depuis des années : le manque de coordination des soins et l’absence d’un véritable dossier patient informatisé. Mais au lieu de poser le vrai débat, Capital préfère filmer la journaliste avec des mimiques indignées, histoire d’orienter un peu plus le téléspectateur dans le bon sens. Ce n’est plus du journalisme. C’est de la manipulation.

"Les médecins hospitaliers sont riches !" Faux, encore.

Autre "révélation choc" du reportage : certains médecins hospitaliers gagneraient un million d’euros par an. Oui, certains, une infime minorité, souvent des spécialistes ultra-recherchés qui pratiquent des consultations privées en complément de leur activité hospitalière. Mais dans les faits, 95 % des médecins hospitaliers ne font pas de consultation privée et gagnent entre 4 000 et 6 000 € net par mois. Pendant que la France les critique, leurs homologues allemands et suisses sont payés 20 à 40 % de plus, avec de meilleures conditions de travail. Si demain, ces mêmes médecins hospitaliers quittent la France pour aller exercer ailleurs, qui les remplacera ?

Le vrai scandale, c’est le silence des médecins eux-mêmes

Mais le plus hallucinant, c’est le silence des médecins face à ces attaques. Pas un mot. Pas une réaction collective. Pas un mouvement pour rétablir la vérité. Ils encaissent. Ils se taisent. Comme s’ils acceptaient d’être les boucs émissaires d’un système qui s’effondre. Le problème, ce n’est pas eux. Le problème, c’est le numerus clausus qui a bloqué la formation de médecins pendant 30 ans et qui nous plonge aujourd’hui dans une pénurie dramatique. Le problème, c’est une administration qui noie les soignants sous des montagnes de paperasse au lieu de leur permettre de soigner. Le problème, c’est un manque total de reconnaissance, financière et sociale, qui pousse les jeunes à fuir la profession. Mais non. Plutôt que de dénoncer ces réalités, Capital préfère accuser les médecins, ceux-là mêmes qui tiennent encore debout un système au bord du gouffre.

Il est temps d’ouvrir les yeux

Les médecins ne sont pas des profiteurs. Ils ne sont ni des rentiers du système, ni des "nantis" qui s’enrichissent sur le dos de la Sécurité sociale. Ils sont les derniers remparts d’un système de santé qui vacille, et si on continue à les traiter comme des coupables, ils partiront. Et cette fois, il ne faudra pas s’étonner quand il n’y aura plus personne pour nous soigner. Il est temps d’arrêter cette hypocrisie, d’arrêter cette désinformation, et surtout, de cesser de tirer sur ceux qui nous soignent.

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